Réflexions sur l'assistance médicale à la procréation

Publié le par Association des Libres Penseurs de France

Le Comité Consultatif National d’Éthique vient de rendre ses avis préparatoires aux lois attendues sur la bioéthique et notamment celui relatif à la procréation médicalement assistée (PMA). Ce processus d'élaboration a été accompagné d'un mouvement de réflexion auquel les Libres penseurs ont tenu à apporter une contribution éclairée, tel l'article qui suit que nous devons au Docteur Patrick BERTHE (ER).

 

L'opinion développée par notre adhérent est proche de l'analyse proposée par l’Ordre des médecins : « le désir d'enfant est fort et son impossibilité entraîne une réelle souffrance ». Ainsi donc, sans être une pathologie nomenclaturée, la « souffrance d'enfant » justifie l'acte médical de PMA au bénéfice de celles qui le demandent. Le Comité consultatif et le Conseil de l'ordre sont donc ainsi tombés en plein accord sur une avancée sociale que nous saluons, et que décrit le Dr Berthe.

 

Ajoutons deux remarques :

-  Tout d'abord le Comité consultatif s'est montré moins frileux que quiconque puisqu'il préconise l'accès à la PMA à toutes impétrantes, sans considération dogmatique sur l'existence préalable d'un lien matrimonial (vie en couple ou célibataire). C'est une belle clairvoyance que d'avoir déconnecté  « mariage conditionnant » et « procréation assistée ».

-  Ensuite, et au regard de l'avis rendu, on peut être surpris de la faible réaction des instances religieuses. Mais l'Église catholique est empêtrée par un immense scandale d'abus sexuel qui la disqualifie sur les questions d'éthique. Le travail du Comité consultatif en a été plus serein.

 

La Rédaction

 

 

Réflexion sur l'Assistance Médicale à la Procréation  (AMP/PMA) pour les couples de femmes homosexuelles et les femmes seules.

 

L'AMP a vu ses conditions fixées pour la première fois en 1994 par le législateur qui l’a définie comme une proposition pour un couple homme/femme de « remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ». Il s'agit donc d'un processus médical qui devait être limité à sa fonction thérapeutique dans un contexte de déficience pathologique d'un couple mixte.

 

Mais aujourd'hui, XXI° siècle, une nouvelle loi bioéthique va voir le jour, le législateur doit aborder un choix sociétal : l'accès pour toutes à l'assistance médicale à la procréation. Cette évolution, qui s'inscrit dans un souci d'égalité dans l'accès aux techniques d'AMP, suscite de nombreuses discussions, des réticences, des espoirs aussi.

 

Notre propos est d'éclairer cette problématique en excluant toute considération sur la GPA (Grossesse Pour Autrui) qui est un autre sujet.

Il s'agit uniquement d'envisager l'extension du droit à la PMA aux couples de femmes homosexuelles et aux femmes seules. Ces deux situations méritent d'être considérées séparément, il faut surtout s'attarder sur le problème du couple, et terminer en envisageant la particularité de la femme seule.

 

L'homosexualité a une longue et tragique histoire : tolérance ancienne, crime, maladie psychiatrique, ou tare honteuse ; aujourd'hui, en France, le « mariage pour tous » lui assure une légitimité contribuant à l'égalité entre tous les citoyens.

 

 L'homosexualité ne relève pas d'un choix, mais s'impose à l'individu. Lorsqu'un couple de femmes homosexuelles formule l'envie d'un enfant, il s'agit de la décision d'un couple désirant matérialiser son union par un désir d'enfant. Ainsi il n'existe a priori à cette demande aucun caractère pathologique qui mériterait assistance médicale. Pourtant, le désir d'enfant est fort et son impossibilité entraîne une réelle souffrance, sans doute égale à celle d'un couple hétérosexuel infertile.

 

Cela a pour conséquence la recherche de solutions en dehors de l'AMP pratiquée en France. Actuellement, quoi qu'on en pense, ces couples ont recours à des voies alternatives, notamment à l'étranger, ce qui nécessite des sommes importantes, non accessibles à toutes, avec donc une discrimination financière. Plusieurs milliers d'enfants naissent chaque année selon cette méthode en France, plus de mille pour la seule Belgique. Il existe aussi une « banque de sperme » danoise qui fournit toute l'Europe (Cryos). On pratique également des méthodes artisanales, sperme recueilli grâce à des connaissances, ou par Internet, auto-injecté par seringue. Cela avec tous les risques sanitaires que l'on peut imaginer.

 

Il existe donc une réalité que l'on définit parfois de sociétale, d'anthropologique, peu importe : fermer les yeux avec hypocrisie ou idéologie dogmatique n'apportera rien. On rappelle ici que le mariage est désormais reconnu à ces femmes …

 

Bien sûr, toute décision de modifier les conditions d'accès à l'AMP doit être prise en analysant toutes les conséquences qu'elle pourrait entraîner. Faut-il retenir les oppositions dogmatiques ou religieuses ? Sans doute pas, chaque couple pourra demander à bénéficier de ce processus en toute liberté. Il s'agit d'une offre et non d'une contrainte ! L'avis de certains ne peut en aucun cas entraver la liberté des autres, si elle n'atteint pas la leur.

 

Mais deux objections méritent notre attention.

D'abord le devenir des enfants naissant ainsi. Jusque-là le consensus était que pour le bon développement psychomoteur d'un enfant, il devait vivre au milieu d'un couple parental à deux visages différents : la mère bien sûr, mais aussi le père, figure masculine avec son rôle éducatif et relationnel. Ce doublon était supposé permettre à l'enfant de bien établir sa relation à ses origines et à ses repères familiaux.

 

Or on sait déjà qu'il peut exister des difficultés chez les adolescents adoptés qui réclament de rencontrer leurs « vrais » parents. On peut relever aussi la demande de certains, jeunes ou adultes insistant pour que soit levé l'anonymat de leur naissance sous X. Certains parlent de mal-vivre avec cette notion de « père effacé », (quand ils ont été mis au courant de leur mode de conception), arguant que le donneur est un concepteur de remplacement, son identification  permettant à l'enfant d'identifier la personne qui lui a permis d'exister.

 

Pourtant, le don anonyme en France garantirait la construction du lien de parenté psychique et social entre l'enfant et le couple qui l'élève et l'éduque. Ainsi, si on peut imaginer que le questionnement ne peut qu'être majoré chez ces enfants nés dans un couple de femmes, sans possibilité de «père de substitution», ce n'est pas un spermatozoïde qui fait un père ou crée une histoire personnelle, celle-ci se forgeant dans une famille.

D'autre part, la majorité des enfants relevant d'une relation dans un couple hétérosexuel avec un père présent, ces enfants de couple homosexuel ne risquent-ils pas de se sentir discriminés, troublés ?

Notre société évolue, les mentalités changent vite, les particularités se multiplient avec des familles monoparentales, recomposées. Il n'est donc pas juste d'affirmer une évolution péjorative du développement psychique de ces enfants. On dira aussi que naître dans une famille «classique » n'exclut en rien des conflits graves entrainant un devenir péjoratif…

 

Beaucoup d'études ont été faites, en particulier aux États-Unis sur ces enfants élevés par deux femmes ; elles sont favorables mais malheureusement biaisées sur le plan méthodologique, parfois non objectives, quand elles ne sont pas orientées. Néanmoins des études récentes, plus rigoureuses, ne montrent pas qu'il existe des difficultés majeures systématiques, et sont donc rassurantes.

 

Un deuxième problème se pose en cas d'extension des règles de l'AMP aux couples de femmes homosexuelles, celui de la gestion du don de gamètes. En France le don est anonyme et gratuit ; chaque don ne peut donner lieu qu'à dix utilisations afin de limiter le risque de rencontre entre enfants issus du même donneur. Il y a actuellement pénurie relative. Les CECOS, organismes publics qui gèrent très bien le don de sperme ont des règles éthiques strictes, refusant totalement la marchandisation du don comme cela se passe dans certains pays (ex : Danemark). L'extension entrainera de facto une demande importante.

 

À ce jour un couple hétérosexuel qui justifie au préalable de deux ans de vie commune peut faire appel à l'AMP, mais doit se soumettre à de nombreux examens afin de prouver son infertilité, et attendre qu'un diagnostic soit posé pour obtenir l'accord souhaité. Un délai d'un an ou plus en moyenne est la règle. Cet impératif médical n'aura pas lieu d'être pour le couple de femmes homosexuelles. Leur demande sera la seule contrainte. La conséquence sera une majoration de l'attente pour tous, avec une diminution de succès pour les femmes de 35 ans et plus.

 

Faudra-t-il annoncer aux couples mixtes infertiles qu'ils doivent patienter encore plus pour satisfaire des couples de femmes homosexuelles ? Ou bien établir une priorité à la mixité, créant une différence entre les « bonnes » indications médicales et les autres «non» médicales? D'ores et déjà les CECOS refusent de s'engager dans cette distinction et l'envisager paraît bien dangereux. Pourtant la problématique ne peut être occultée.

D’autre part, le coût de l'intervention médicale sera-t-il pris en charge par l'Assurance Maladie comme c'est le cas aujourd'hui pour les couples mixtes infertiles, le contraire entraînant une absence d'équité entre celles qui pourront ou non « s'offrir » cette prestation ?

 

Le don de sperme devant rester volontaire, anonyme et gratuit, il faut impérativement que ce don sorte de sa confidentialité. Donner son sang pour sauver des vies est gratifiant. Le don de gamètes relève d'une symbolique particulière bien différente, et ce don totalement altruiste dans notre pays est beaucoup trop insuffisant pour faire face à une nouvelle demande à l'AMP. Il faudra donc qu'une campagne de promotion du don de gamètes soit engagée en parallèle à une nouvelle loi sur ce sujet afin que les CECOS puissent assurer leur rôle dans de bonnes conditions éthiques et médicales. Encore une évolution nécessaire des mentalités.

 

On doit enfin aborder la situation des femmes seules, désirant s'assumer de façon autonome pouvant, pour des raisons personnelles, décider de « faire un bébé » sans relation sexuelle et d'assurer son devenir. Cette situation existe déjà et se règle à l'étranger moyennant finances.

On peut faire un parallèle avec la demande d'un couple de femmes homosexuelles, mais il existe quelques différences quant à la réflexion.

 

Le contexte social ne peut être ignoré, on sait que beaucoup de femmes élèvent seules leur(s) enfant(s), souvent très bien, mais avec des difficultés matérielles et financières évidentes. Ensuite, l'âge de la demande doit être évoqué : doit-on imposer un âge minimal et lequel, sachant que la fertilité d'une femme baisse après 35 ans ? Bien sûr il doit être hors de question d'envisager des acrobaties médicales inadmissibles chez des femmes trop âgées.

 

Nous pouvons conclure que la loi bioéthique ne peut qu'évoluer favorablement vers cette extension à l'accès à la PMA/AMP pour les couples de femmes homosexuelles (ou seules). Les mentalités ont évolué, l'homosexualité est reconnue, y compris dans le mariage, ouvrant la porte à la demande de procréation de ces femmes.

 

On ne peut accepter une marchandisation de cette nouvelle extension de l'accès à l'AMP. Aucune restriction financière ne devrait interférer.

Il faut bannir toute interférence dogmatique ou/et religieuse, qui ne peut que polluer le débat, toute personne opposée pour des raisons philosophiques à cette évolution aura toute liberté de ne pas se l'imposer.

Toutefois, si ce droit à l'enfant est jugé légitime pour ces femmes, il ne peut pas être assimilé à un droit matériel. Il s'agit de donner la vie à un être humain qui devra prendre sa place dans le monde avec les meilleurs atouts possibles.

 

Si on doit favoriser ce droit, tout doit être envisagé pour un accueil de cet enfant dans les meilleures conditions, dans sa famille, mais aussi dans la Société qui doit s'y préparer : cela doit devenir la priorité.

 

 

Dr. Patrick BERTHE

Publié dans SOCIETE, SCIENCES

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